Voici un autre extrait tiré de ma toute première comédie romantique. Je vous en souhaite bonne lecture.

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Comme tous les jours en rentrant de la boulangerie, je récupère au passage le courrier dans ma boîte aux lettres. Elle se trouve à l’orée de la charmante allée cailloutée qui serpente jusqu’au perron de ma modeste demeure. Côté droit. Celle-ci est perchée sur son pied en aluminium inoxydable d’un mètre quarante de haut, planté directement dans la pelouse et rivé au sol par un petit carré de béton. L’étendue verte s’étend, quant à elle, sur tout l’avant de la maison et s’élargit sur le flanc tout du long, jusqu’à l’arrière de celle-ci. Un accès pentu cimenté mène au garage, côté sénestre de l’allée. Ma Peugeot 207 blanche de 2009 est parquée devant la grande porte bleue basculante dotée de trois hublots formant un soleil sur le panneau du haut. Elle attend sagement que je l’emmène faire sa petite balade journalière.

Je suis extrêmement fière de mon jardin. Au printemps, quand les fleurs et arbustes plantés dès mon arrivée sur les lieux, il y a un peu plus de neuf ans, fleurissent, on assiste avec ravissement à une explosion de couleurs et de senteurs.

J’éprouve un plaisir immense à jardiner. Cela a un effet thérapeutique et apaisant sur moi. Chaque fois que j’ai des soucis, que je suis énervée, contrariée, je m’empresse d’aller désherber, planter, bécher, rempoter… Tout ce que je peux dénicher à faire dehors, les doigts dans la terre, qui m’occupe l’esprit et les mains.

Trône également au milieu du petit carré de jardin devant la maison, un séduisant puits que j’ai acquis trois ans plus tôt et qui m’avait coûté les yeux de la tête. Il est embelli de plusieurs vasques regorgeant de fleurs de différents coloris et cerné pour mon plus grand déplaisir, gâchant le tableau, de sept horribles et cauchemardesques nains de jardins. Tous des cadeaux de ma mère, je tiens à le préciser. J’abhorre ces hideuses figurines et je ne tiens en aucun cas à y être associée. Si j’ai un regret dans ma vie, c’est bien d’avoir cédé au chantage de ma génitrice le jour où elle a eu la malencontreuse idée de m’offrir le gnome numéro un. Si j’avais su qu’il serait le premier d’une série interminable, j’aurais à coup sûr tenté de trouver une excuse valable pour le refuser sans froisser la susceptibilité de ma sensible mère.

Depuis la mort de mon père, ma mère, Hélène Leroy est devenue une adepte des brocantes et des vide-greniers. La première fois qu’elle a participé à l’une de ces manifestations, elle a eu la fantaisie (si seulement elle avait plutôt eu une illumination pour, je ne sais pas moi, un sac à main de marque, une paire de chaussures, un meuble vintage…) de craquer pour l’un de ces ridicules petits bonhommes affublés de costumes et bonnets tout aussi absurdes. Et, dès lors, tous les ans que Dieu fait, pour fêter l’arrivée du printemps, j’ai droit à l’un de ces fichus barbus ventripotents. Sept ans que ça dure, cette histoire !

Je ne sais vraiment pas le délire qu’elle a avec ces maudites statuettes. Fait-elle une sorte de fixation ou un truc similaire ? Essaie-t-elle de me faire passer un message ? Et

si oui, lequel ? Parce que, au bout de toutes ces années, je n’en ai toujours pas compris le sens caché. 

Message mystique ou pas, donc, je fais les frais de ses lubies et, pauvre de moi, j’avoue que je ne sais pas comment m’en sortir. Je connais ma mère par cœur. Elle joue souvent sans s’en rendre compte sur la corde sensible pour arriver à ses fins. Surtout avec sa fille unique. Avant c’était mon père qui détenait l’exclusivité de ses caprices. Mais depuis qu’il n’est plus là, c’est moi qui m’y colle à temps complet. Aussi, si je lui suggère un jour de but en blanc de se mettre ses nains de jardin où je pense, elle s’empressera de me cracher au visage que je suis une ingrate qui n’a jamais apprécié ses cadeaux à leur juste valeur. Ce dont elle n’a pas tort, en l’occurrence. Elle me

fera remarquer pour la énième fois que, de son côté, elle aurait été une bien mauvaise mère si elle avait refusé les présents, pourtant affreux, que je lui fabriquais petite pour chaque fête des Mères. Elle se mettra à larmoyer en me certifiant que ce n’est que par pur amour pour moi qu’elle les acceptait avec le sourire. J’en entendrai parler jusqu’à la fin des temps.

Peut-être même ne me parlera-t-elle plus du tout, d’ailleurs, après ma mise au point ? Pendant un bon moment, du moins. Comme la fois où, pour mon anniversaire – je m’en souviens parce que, la même année, les enfants et moi avons emménagé dans cette maison, deux ans avant la mort de mon père –, elle m’avait offert cette paire d’anneaux d’oreilles gigantesques. Genre perchoir à oiseaux. Alors que je ne porte jamais de boucles d’oreilles. Ou très discrètes les rares fois où j’en mets.

Le pire dans tout ça, c’est qu’elle connaît parfaitement mes goûts, la bougresse ! (Ou pas. Je commence à avoir de sérieux doutes sur la question.) Le fait-elle exprès ou est-elle soudainement aspirée dans un trou noir temporel qui lui efface la mémoire au moment de se décider sur l’article à m’offrir ?

Enfin, bref…

Voyant que je ne m’empressais pas d’enfiler ses énormes anneaux, ma mère m’avait harcelée pour que je le fasse sans tarder au risque de la vexer. J’avais alors prétexté que, mes vêtements n’étant pas du tout coordonnés pour aller avec, je préférais attendre de pouvoir les porter avec une tenue plus appropriée. Et, bien sûr, elle avait aussitôt compris que je les détestais. Elle m’avait fait une scène et m’avait tellement échauffée que je n’avais pas pu m’empêcher de lui jeter au visage que je les trouvais abominables et qu’on devrait me payer cher pour que je les glisse à mes oreilles un jour. La tête haute, droite comme un i, elle avait rempaqueté l’étui avec les boucles à l’intérieur, avait ordonné à mon père de lever ses fesses du canapé s’il ne voulait pas se retrouver avec une demande de divorce sur les bras, et avait quitté la maison furieuse. Mon père, résigné et penaud, sur les talons. Elle m’avait fait la gueule pendant une semaine entière.

En règle générale, ma mère ne passe pas un jour sans m’appeler. C’est vous dire à quel point je l’ai heurtée ce jour-là ! Alors, hors de question de lui faire de la peine une fois de plus. Pour cette raison, lorsqu’elle m’offre un de ces grotesques nabots multicolores, je l’accepte avec un enthousiasme exagéré et un sourire hypocrite.

Au début, les premiers nains se sont retrouvés répartis au milieu de mes parterres de fleurs, histoire de les camoufler le plus possible. Mais lorsque j’ai acheté le faux puits, j’ai aussitôt pensé les placer, à l’inverse, bien en vue au pied et autour de celui-ci. En vérité, j’avais le secret espoir (espoir complètement évaporé depuis) que quelqu’un ait la merveilleuse idée de m’en délester rapidement. Seulement, j’ai l’impression que les voleurs de tels objets ne foisonnent pas à Vouvan-les-forêts.

Manque de bol, personne n’a l’air de s’intéresser à ce genre d’article ! Du coup, pour ma plus grande affliction, non seulement pas un nain ne manque à l’appel, mais, en plus, chaque printemps, ma mère m’en offre un supplémentaire à ajouter à la collection. Cette année, j’ai eu droit à mon septième barbu. Celui-là porte un bonnet rouge, un pantalon bleu, une chemise orange et pousse une brouette l’air assez content de lui. Beurk ! Je ne vous en voudrais pas si l’envie vous prenez de me baptiser officiellement Blanche Neige et ses sept nains de jardin ridicules. Ou un truc similaire. Je suis d’accord, c’est à se tordre de rire !

*

En pénétrant dans le vestibule, je pose le courrier sur la console, mon sac à main sur la chaise à côté et j’accroche mon manteau au porte-manteau. Puis, je monte directement à l’étage pour aller prendre ma douche. La journée a été démente à la boulangerie. On a eu un monde fou ! Je n’avais qu’une hâte : que ça se termine enfin.

Depuis mardi, et sa rencontre avec Robin, je n’ai pas revu monsieur-je-me-crois-plus-fort-que-les-autres. La première réflexion que je me suis faite alors a été qu’il était peut-être souffrant. Ça arrive à tout le monde. Mais, selon mon fils, monsieur Le Guen n’a pas manqué un seul jour de cours depuis le début de la semaine. (Hier soir, j’ai discrètement soutiré les infos à Samuel qui m’a certifié, avec un sourire satisfait, que son prof de maths se portait à merveille.)

Sami a l’air de beaucoup apprécier Maximilien Le Guen. Pourquoi ? Impossible de savoir. Déjà deux personnes gravitant autour de moi : Gégé et maintenant mon propre fils se sont entichés de ce Prof à la noix ! Peut-être descend-il d’une lignée de grands sorciers bretons et les a-t-il envoûtés avec son aura magique ? Peut-être n’enchante-t-il que ses pairs par pure fraternité masculine ?

Suis-je la seule à le voir comme il est en réalité : un odieux et grossier personnage ?

Dans ce cas, s’il n’est pas malade, ni rien, sous quel prétexte je-me-la-pète-Le-Guen ne s’est-il pas présenté à la boulangerie acheter ses douze chouquettes et sa baguette habituelles ? Lui qui, d’après mes déductions en le voyant tous les jours ou presque, n’aime pas sortir de sa zone de confort. Je saisis mal la raison de son absence. Il m’avait habituée à être plus persistant. Non que ne plus le voir me contrarie. Bien au contraire. J’en suis ravie. Ça me fait des vacances. Mais, tout de même !

Lorsque Robin est sorti de la boulangerie mardi matin, et qu’est advenu le tour de Prof de se faire servir, l’opération "chouquettes" s’est déroulée à peu près comme d’ordinaire. Si ce n’est que, pour une fois, je me suis parfaitement bien tenue et n’ai fait aucune gaffe. Un miracle ! (L’effet « Robin », sans doute.) Et que, lui, paraissait encore plus irrité et énervé qu’à l’accoutumée. (Deuxième effet « Robin », là encore.) À part ces détails, rien de particulier n’est survenu. En tout cas, rien qui aurait pu pousser Maximilien Le Guen à ne plus revenir sur les lieux. Je ne comprends vraiment pas quel est son problème.

— Sûre et certaine que sa défection n’a rien à voir avec moi, je dis tout haut pour m’en convaincre en sortant de la douche, revigorée.

Tout à fait persuadée que je suis dans le vrai, je mets des vêtements confortables et redescends les marches d’escalier en me disant que je dois absolument tirer cette affaire au clair.

Perdue dans mes pensées, je me rends machinalement dans le vestibule et récupère le tas de courrier laissé sur la console en entrant. Ensuite, je me dirige vers le salon et me laisse tomber sur le canapé. Où j’entreprends, avec une certaine désinvolture, de le décortiquer en commençant par le dessus de la pile.

— Alors… qu’est-ce que ça va être aujourd’hui ? Vais-je avoir droit à une bonne nouvelle pour changer ? Courrier 1 :

 

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Du 17 octobre au 24 octobre 2011.

Du jamais vu dans votre magasin Carrefour !

Avec la carte Carrefour, jusqu’à 70 % d’économie sur des produits de grandes marques signalés.

 

Hum ! Intéressant. Gardons ça pour plus tard !

Je pose le prospectus à côté de moi et m’empresse de décacheter le Courrier 2.

Une lettre de ma banque m’annonçant (comme si je l’ignorais !) que voilà un mois que mon compte fonctionne en position débitrice. Et qu’il est IMPÉRATIF qu’il passe créditeur dans les jours à venir afin de ne pas risquer d’autres frais inutiles dus, ceux-là, aux éventuels rejets d’opérations pour défaut de provision qui surviendraient dans le courant même de cette période.

Ben, voyons ! Et qui les rejette ces opérations, hein, si ce n’est ces propres banquiers qui se cachent derrière de telles lettres dites « d’information » ? (De menace, oui !)

Tous des charognards, ces banquiers !

Bon… Par pure précaution, vais quand même appeler ma sympathique banquière pour la supplier de virer l’argent nécessaire au renflouement de mon compte courant, de mon compte épargne.

Heureusement que j’ai pas mal d’argent de côté ! je me félicite, fière de moi.

Quelques minutes plus tard, une fois l’opération « appel-à-ma-banque-pour-éviter-énormes-problèmes-dus-à-un-trop-gros-découvert » accomplie, je m’attaque au Courrier 3 :

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Optique Barthélemy.

Un opticien à Nantes qui offre une monture invisible pour une monture originale achetée.

 

Invisible ? Aucune idée de ce que ça veut dire. Mais bon… À partir du moment où eux le savent, c’est l’essentiel. Non ?

Hop ! Dans la pile : à jeter.

Courrier 4 : nouvel échéancier de mon assurance automobile.

Parfait ! Parfait !

Courrier 5 : re pub. Cette fois pour des promotions sur les pneus.

Bof ! À jeter.

Courrier 6 : Encore une publicité. Du petit magasin Quat'pattes qui se trouve à la sortie de Vouvan-les-forêts. J’A.DORE ce magasin ! Et là, il propose une super réduction de 50 % sur le deuxième sachet de croquettes Royal Canin Veterinary Diet pour chiens à partir de 1 an qui souffrent de surpoids. Coût du sachet individuel : 62,99 €.

Humm ! C’est une super affaire, ça ! Si seulement j’avais un chien !  

Courrier 7 : re re pub. Invitation à des portes ouvertes, samedi prochain, au Garage automobile La Fournaise.

Rien que le nom, ça ne donne pas envie ! Allez, zou ! Poubelle !

Et pour finir, le Courrier 8.

Je tiens entre mes doigts une enveloppe A4 marron, scellée – sans timbre, avec TOP SECRET, et juste mon nom et prénom inscrit dessus – qui est loin de m’inspirer confiance. Fébrile, j’essaie de la décacheter le plus délicatement du monde. On ne sait jamais ! Et si en l’ouvrant trop brusquement je déclenche je ne sais quel mécanisme miniature qui amorcera une petite bombe renfermée à l’intérieur n’attendant qu’une chose : m’exploser à la figure ?

Ma pauvre Rosie, tu regardes un peu trop de séries d’espionnage !

La lettre se défait sans incident. (Je le savais !) Et je fourrage mes doigts à l’intérieur pour en sortir une fine liasse de papiers comprenant une lettre tapuscrite, que je mets pour l’instant de côté, et un petit dossier de trois feuilles qui attise aussitôt mon intérêt. Car il porte comme en-tête celle de la préfecture de police parisienne avec l’adresse de la Brigade de Recherche et d’Intervention, 36 quai des Orfèvres, dans le 1er arrondissement de Paris.

Blanche comme un linge, je m’empare aussitôt de la lettre, les mains tremblantes, secouée d’un mauvais pressentiment. En la balayant rapidement du regard, j’y relève, comme je le craignais, en dessous de la mention « signature » le tampon officiel de la Brigade de Recherche et d’Intervention, surmonté de l’autographe et du nom d’un certain Jules Ménard, officier de police. Si j’avais des doutes sur l’authenticité du document, ils viennent juste de partir en fumée. La BRI, l’Antigang, rien que ça !

— Putain ! Je vais tuer, Ambre !

À suivre…

Si  vous souhaitez connaître la suite, n'hésitez pas à vous le procurer. Le format broché est à 9,36€ et le ebook à 3,69€

 


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