EDOGAWA RANPO
Edogawa Ranpo est le nom de plume de l’écrivain japonais du XXe siècle de romans policiers et d’horreur Taro Hirai. Né en 1894 et mort en 1965, il est considéré au Japon comme le pionnier dans ce registre.
Il était un fervent admirateur de l’écrivain Edgar Allan Poe qui a beaucoup influencé ses écrits, dans lesquels on retrouve les thèmes de prédilection de l’auteur américain tels que la perversité, le mystère, l’horreur et l’érotisme. Sa fascination pour Poe était si vive que son pseudonyme n’est ni plus ni moins qu’une transcription de son nom. Un bel hommage, vous direz !
Les œuvres de Edogawa, marquées par un style d’écriture distinctif lui permettant de créer une atmosphère d’horreur et de suspense, sont souvent sombres et dérangeantes. Elles explorent les tréfonds de la folie, de la dépravation, de la dualité humaine et de l’obsession…
Pour moi, Edogawa Ranpo est à la littérature japonaise policière ce que Agatha Christie est à la littérature anglaise dans ce même registre. L’horreur, le sadisme, le macabre et l’érotisme en plus. À son tour, il a su inspirer nombre de cinéastes et autres écrivains. Son travail continue d’ailleurs à être étudié et apprécié par les amateurs du genre. Son influence est telle dans la culture populaire japonaise qu’en son honneur, le Prix Edogawa Ranpo est attribué chaque année aux auteurs de mystères exceptionnels.
QUELQUES UNES DE SES ŒUVRES
- L’homme qui voyageait dans le temps, (Taimu ronin), une histoire de science-fiction qui raconte celle d’un homme découvrant un moyen de voyager dans le temps avec un élixir spécial. Très vite il découvrira les conséquences inattendues de ses voyages temporels.
- Le démon de la logique, (Rogikku no akuma), nouvelle mettant une fois de plus en vedette le détective privé Kogoro Akechi, confronté à un adversaire redoutable « Le démon de la logique ». L’histoire met en avant des énigmes complexes et des défis intellectuels.
- L’île du diable, (Akuma no shima), une histoire d’horreur se déroulant sur une île mystérieuse où un groupe de voyageurs se retrouve piégé et confronté à des événements terrifiants et surnaturels.
- Le serpent, (Hebi), encore une histoire d’horreur. Celle-ci est centrée sur un écrivain qui fait une découverte inquiétante dans sa maison liée à la mythologie japonaise.
- Le labyrinthe, (Meiro), histoire qui explore les thèmes de l’enfermement mental et de la manipulation psychologique. On y suit un homme piégé dans un étrange labyrinthe mental où la réalité et la fiction se mélangent.
- La chaise humaine, (Ningen Isu), une histoire d’épouvante sur une chaise fabriquée à partir d’os humains. Les thèmes explorés ici sont la perversion et la décadence.
L’une de ses œuvres les plus célèbres de Edogawa, La bête aveugle, (Tobosaku) met en scène le détective privé Kogoro Akechi, personnage emblématique de nombreuses autres de ses histoires. Sans conteste le plus célèbre. Il est brillant, excentrique et résout des énigmes complexes souvent liées à des crimes horribles.
KOGORO AKECHI est considéré comme l’équivalent japonais du célèbre détective Sherlock Holmes d’Arthur Conan Doyle, non seulement pour son excentricité, mais aussi pour ses talents de déduction et son sens aigu de l’observation.
Ici, Kogoro traque un criminel mystérieux et sadique appelé « La bête aveugle » qui laisse sur son sillage un panel de meurtres brutaux.
Le détective Akechi Kogoro est également le personnage central du roman Le lézard noir, (Kurotokage), publié en 1934, l’un de mes préférés. Et un classique de la littérature policière japonaise, aussi adapté au cinéma, télévision, théâtre…
L’intrigue, alambiquée et pleine de rebondissements, tourne autour d’un mystérieux tueur en série du nom du « Lézard noir » qui élabore des meurtres d’une grande complexité, défiant ouvertement à chaque étape de l’enquête les autorités et surtout le détective Akechi.
L’histoire se concentre sur la traque de ce meurtrier insaisissable, alors que les meurtres deviennent de plus en plus déconcertants et violents.
Le roman nous immerge dans la psychologie des personnages, surtout celle du Lézard noir en personne, révélant les sombres motivations cachées derrière ses crimes.
RÉSUMÉ
« Sur son bras gauche, un lézard noir ondulait, il semblait ramper Tout en donnant l'impression qu'il allait se déplacer de son bras vers l'épaule, puis vers le cou, pour arriver enfin jusqu'aux lèvres humides et rouges, il restait indéfiniment surplace. »
Une enquête de Kogorô Akechi, et certainement le plus célèbre roman policier d'Edogawa : un cambriolage rocambolesque lancera le détective dans une course-poursuite sur les traces d'une femme fatale et sans scrupule surnommée " le Lézard noir ", à la recherche de la belle Sanae. Un enlèvement réussi et des travestissements déconcertants mettront à mal sa perspicacité et conduiront le lecteur dans un labyrinthe secret et inattendu, jusqu'à un musée extravagant. Yukio Mishima a adapté ce roman au théâtre, jouant lui-même un petit rôle dans le film qui en fut tiré par le réalisateur Kinji Fukasaku, en 1968.
EXTRAITS DE LE LÉZARD NOIR
1- … Bientôt, dans le joyeux tumulte des explosions de pétards, les bouchons de champagne jaillirent, se frayant un chemin parmi les ballons multicolores. Çà et là, les verres s’entrechoquaient, et des voix reprenaient en chœur :
« Bravo, l’Ange noir ! »
Elle avait vraiment l’air d’une reine : sa silhouette racée, sa démarche, le luxe qu’elle affichait, les bijoux somptueux qu’elle portait, mais plus encore, le charme magnétique qui émanait d’elle. Exhibitionniste, fière et provocante !
« L’Ange noir, fais-nous ta danse des bijoux ! » hurla quelqu’un. Il y eut aussitôt un brouhaha suivi d’un tonnerre d’applaudissements.
Dans un coin, l’orchestre commença à jouer. La musique quelque peu obscène du saxophone titillait curieusement le public.
La danse des bijoux avait déjà commencé, au centre du cercle qui s’était formé au milieu des spectateurs. L’Ange noir allait, d’un moment à l’autre, devenir l’Ange blanc : son corps, complètement nu, ne serait plus couvert que de deux colliers de grosses perles, de magnifiques boucles d’oreilles en jade, de bracelets incrustés d’une multitude de diamants à chaque bras et de trois bagues à ses doigts. Etincelante et cliquetante, elle dansait avec grâce, adoptant des postures aguichantes, agitant les épaules et roulant des hanches comme si elle s’était trouvée dans un harem.
« Regarde, le lézard noir s’est mis à ramper. C’est absolument magnifique.
— C’est vrai, ce petit reptile est bien vivant, on dirait.
Cette conversation s’échangeait à mi-voix entre deux jeunes gens pleins d’entrain, vêtus de smokings.
Sur le bras gauche de la belle jeune femme, un lézard noir ondulait. Il semblait ramper, les ventouses de ses pattes avançant au rythme de ses muscles. Tout en donnant l’impression qu’il allait se déplacer de son bras vers l’épaule, puis vers le cou, pour arriver enfin jusqu’aux lèvres humides et rouges, il restait indéfiniment sur place. C’était un tatouage d’une ressemblance saisissante...
2- … Le détective ne semblait visiblement pas accorder beaucoup de crédit à cette histoire.
« Vous faites pourtant votre métier de détective avec tant de passion ! Je sais très bien que vous vous promenez la nuit dans les couloirs de l’hôtel et que vous posez des tas de questions aux serviteurs.
— Parce que vous avez fait attention à toutes ces choses ? Vous êtes bien curieuse, dites donc ! répondit Akechi sur un ton ironique, en observant avec de grands yeux le beau visage de la jeune femme.
— Vous savez, je suis persuadée que ce n’est pas une plaisanterie. C’est peut-être mon sixième sens, appelez cela comme vous voulez, mais je le sens ! Il me semble que vous devriez rester sur vos gardes. »
La jeune femme, qui ne désarmait pas, insistait d’un ton plein de sous-entendus, en soutenant le regard du détective.
« Eh bien, je vous remercie. Mais soyez tranquille. Il n’arrivera rien à Sanae tant que je serai à ses côtés. Personne ne prendra en défaut ma vigilance.
— Je sais bien que vous êtes très fort, mais cette fois-ci, il me semble que c’est bien différent. J’ai l’impression que l’adversaire est quelqu’un de redoutable.
— Mais, madame, vous semblez avoir une imagination débordante ! Voulez-vous parier ? dit-il comme en plaisantant.
— Comment, un pari ? Ce serait tellement extraordinaire de parier avec vous. Voulez-vous que je risque ce collier auquel je tiens tout particulièrement ?
— Mais vous êtes sérieuse, on dirait ! Bon, alors, si j’échoue et que la jeune fille se fait enlever, que devrais-je faire ?
— Et si vous renonciez à votre métier de détective ? Dans ce cas, je suis prête à parier la totalité de mes bijoux. »
On aurait cru entendre parler une femme riche et désœuvrée.
« Comme c’est amusant ! Vous voulez dire que, si je perdais, je devrais renoncer à mon travail ? Et vous, vous renonceriez à vos bijoux ? »
Akechi, lui non plus, ne désarmait pas.
« Alors, faisons ce pari !
— D’accord, parions. Je me réjouis malgré moi à l’idée de vous voir renoncer à tous vos bijoux ! »
Et le ton badin avait sensiblement laissé la place à quelque chose de plus sérieux…
J'espère que mon article sur cet excellent auteur japonais de romans policiers et d'horreur vous a plu ! Vous a-t-il donné envie de découvrir son univers ?
Si oui, je peux considérer ma mission comme totalement accomplie ! Et vous dis, à très bientôt, pour la découverte d'un autre auteur talentueux.
Bien à vous,
L. Carmen
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